Des chapiteaux de l’an mille
Les invasions Normandes de la fin du IXème siècle portèrent un coup fatal à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés qui fut pillée, ravagée et incendiée. Et, bien que dès 890 la châsse du fondateur ait été replacée dans les lieux, l’abbé Morard n’entreprit la reconstruction de l’abbaye qu’à partir de 990. C’est à cette époque que furent reconstruits la tour occidentale, la nef, les bas-côtés, le transept et le chœur. Cette période charnière qui voit la fin des invasions barbares et l’avènement des Capétiens, marque le début de l’époque médiévale : l’abbé Suger n’est pas encore gothique, Abélard amoureux et Guillaume conquérant… En revanche en 787, le concile de Nicée II a condamné l’iconoclasme et ouvert la voie à l’usage de l’image.
Les chapiteaux de Saint-Germain-des-Prés réalisés au début du XIème siècle ont déjà fait l’objet de plusieurs programmes de restauration dont le plus remarquable, entrepris par Étienne-Hippolyte Godde en 1820, consista à déposer douze chapiteaux désormais exposés au musée du moyen-âge à Cluny mais qui furent recopiés avant d’être réinstallés. Les chapiteaux non démontés furent restaurés sur place par l’ajout de plâtre pour combler les pertes de matière puis peints pour cacher ces traces de restauration… Ces trente chapiteaux restaurés sont regroupés dans les bas-côtés entre l’entrée et le transept. Les images présentées sur ce site ne montrent que les chapiteaux de l’an mille et excluent les trois à décor végétal datant de cette époque. La restauration récente des peintures du chœur des Moines, de la nef, des bas-côtés, des chapiteaux et des sculptures du transept atténue les différences de style architectural. De plus la peinture doré, vert, bordeaux ainsi que le surlignage noir des chapiteaux donnent à la lecture des sculptures une dimension picturale.
Une lecture difficile
Nés d’un programme iconographique précis ces chapiteaux ont été commandés par l’abbé Morard et réalisés par trois sculpteurs (ou ateliers) aux styles clairement différents mais tous d’une fraicheur d’exécution singulière. La lecture de ces chapiteaux reste sujette à bien des interprétations qui ont pour toile de fond des disputes encore vives à l’époque de leur réalisation. Le bâton fleurdelisé que l’on voit sur les 4ème et 5ème colonnes du bas-côté nord rappelle peut-être que Saint-Germain-des-Prés fut une abbaye royale… mais peut-être pas. Depuis l’antiquité le sceptre est un symbole d’autorité alors que le lis décorait le temple de Jérusalem et les objets du culte. Et l’Eucharistie (3ème colonne bas-côté nord), au début du XIème est encore sujette à controverse entre théologiens. La distribution de ces sculptures tient également compte du fait que le bas-côté nord par lequel les moines pénètrent dans l’église en sortie du cloître n’est pas accessible aux laïcs lesquels entrent par le flanc sud de l’église. C’est donc dans le bas-côté nord que se concentrent les chapiteaux figurés représentant le Christ, Saint-Benoît et des anges avec leurs attributs : le Livre (symbole de la parole de Dieu), la Règle (rédigée par Saint-Benoît au mont Cassin), la crosse et l’auréole.
Seul le bas-côté sud est accessible aux laïcs. Ceux-ci entraient par une porte qui, aujourd’hui, se situerait derrière la chaire et déboucherait dans le square Félix Desruelles. En levant le regard à droite le chapiteau représente le Christ en majesté bénissant de la main droite et présentant l’hostie ; derrière, à droite sur un chapiteau orienté au sud, une scène biblique rappelle la Visitation. Sur la même colonne, au dos du Christ en majesté, orienté à l’est un chapiteau représente des animaux de la Genèse. C’est la seule colonne du bas-côté sud qui évoque le Christ aussi clairement.
Sources documentaires :
A. Erlande-Brandenburg, A.-B. Mérel-Brandenburg : Saint-Germain-des-Prés an mil ; éditions A et J Picard. 2011 ;
https://www.sculpturesmedievales-cluny.fr/collection/saint-germain-des-pres.php
15 septembre 2020