Pont Marie pour île Saint-Louis
A la différence du Pont-Neuf dont la raison d’être est de faciliter la circulation ; le Pont Marie sert d’abord au lotissement de l’île Saint-Louis.
À l’origine ça n’est qu’un îlot que Charles le Chauve attribue au chapitre. On le nomme alors l’île Notre-Dame, on y amène des vaches en pâture et les lavandières viennent y sécher leur linge. En 1356, la nuit, pour fermer l’enceinte de Philippe Auguste, une lourde chaîne est tirée en travers du fleuve entre la tour Bardeau rive droite (aujourd’hui 32, quai des Célestins) et le bastion de la Tournelle rive gauche. Au passage de cette chaîne sur l’île, à la hauteur de l’actuelle rue Poulletier, est creusé un fossé de séparation qui crée un îlot que l’on appellera l’île aux vaches.
Une île à construire
En 1594, la fin des guerres de religion, l’arrivée d’Henri IV, la création de la place royale — actuelle place des Vosges — l’urbanisation du quartier du Marais et l’accroissement de la construction d’hôtels particuliers attirent la convoitise sur ces deux îlots. En 1608 un entrepreneur, Christophe Marie, présente au roi une construction de ponts de bois, pouvant supporter n’importe quel « charroi » (même d’artillerie) et être édifié rapidement. En 1609 Henri IV lui confie la réalisation du premier pont de Neuilly selon ce procédé, en remplacement du bac jusqu’alors en activité — le 9 juin 1606, vers 17h, de retour de Saint-Germain-en-Laye le carrosse royal tombe du bac avec le roi, Marie de Médicis et les trois enfants royaux qui manquent se noyer — et lui accorde en paiement, un droit de péage durant 30 ans.
Henri IV avait envisagé dès 1609 de faire bâtir ces deux îlots en amont de l’île de la Cité, la mort l’en empêcha. En 1614, associé à François Le Regrattier (trésorier des Cent Suisses) et à Lugle Poulletier (financier et commissaire des guerres), l’entrepreneur Christophe Marie signe un contrat avec le gouvernement royal de Louis XIII pour « combler le fossé séparant l’île aux vaches et l’île Notre-Dame, relier l’île aux deux rives de la Seine par des ponts en pierre, la cercler de quais et la quadriller de parcelles à lotir ». En échange et à son profit Marie peut construire un jeu de paume, deux étals de boucherie, des bateaux lavoirs, des étuves et percevoir sur chacune des maisons construites une redevance annuelle d’un sol, durant soixante ans.
Un des plus vieux ponts
La première pierre du pont est posée en présence de Louis XIII le 11 octobre 1614. Sa construction va durer vingt-et-un ans. Comme le Pont-Neuf et le pont Royal des becs limitent les phénomènes d’affouillement et parent les chocs des embarcations, troncs d’arbres, etc. Très inspiré des dessins de Paladio et des ponts de l’antiquité romaine, des niches au-dessus des becs attendent d’être garnies. A la différence du Pont-Neuf un dos d’âne signe son profil. L’ouverture de ses cinq arches varie de 14 à 18 mètres pour une longueur de 92 mètres entre les culées et un tablier de 22 mètres de large.
A son ouverture le pont supporte des constructions à deux étages avec cave, boutique-atelier, habitation au-dessus et latrines aux flancs extérieurs des boutiques. En 1658, les deux arches à proximité de l’île s’effondrent. Leur reconstruction transforme la seconde arche en anse de panier et dépouille ces deux arches des boutiques sur le tablier. En 1656 le pendant au pont-Marie construit sur le grand bras, le pont de la Tournelle, ne supporte aucune maison et celles restantes du tablier seront supprimées définitivement à la veille de la Révolution (comme toutes celles occupant les autres ponts).
Une île Grand-Siècle
L’île Saint-Louis, en dépit de l’hostilité des mariniers ou des chanoines, rencontre très vite un grand succès auprès des officiers royaux, argentiers, gens de robe ou magistrats qui très vite acquièrent les parcelles à construire. Celles-ci répondent à un découpage en « arêtes de poissons » de part et d’autres de la rue divisant l’île dans le sens de la longueur (l’actuelle rue Saint-Louis-en-l’île). Soucieux de montrer leur fortune nouvelle ils s’établissent en bordure de l’eau et font appel aux meilleurs architectes du moment. Sébastien et Liberal Bruant, Jean du Cerceau, Louis Le Vau vont, en moins de cinquante ans, donner à l’île Saint-Louis une architecture Grand-Siècle. A la différence des récentes places Dauphine ou des Vosges, elle n’obéira à aucun dessin imposé et fera un usage abondant de la pierre de taille.
Louis Le Vau, avant de construire le collège des quatres Nations, ou le château de Vaux-le-Vicomte, signe une de ses premières réalisations avec l’hôtel Lambert à l’angle du quai de Valois et de la rue Saint-Louis-en-l’île. Il fait appel aux peintres Charles Le Brun et Eustache Le Sueur pour la décoration intérieure. Trois interventions ultérieures viendront altérer cette unité architecturale. La rue Jean du Bellay en prolongation du pont Louis-Philippe et la construction du pont de Sully sont les seules interventions Haussmanniennes sur l’île avec, en 1932, l’élargissement de la rue des Deux-Ponts.
Sources documentaires : Nouvelle Histoire de Paris. Paris sous les premiers Bourbons. René Pillorget, Éditions Hachette, 1988. Nouvelle Histoire de Paris. Histoire de l’architecture à Paris. Georges Poisson, Éditions Hachette, 1997. Dictionnaire historique de Paris, La Pochothèque, Le Livre de poche, 2013. Le Pont en France avant le temps des ingénieurs, Jean Mesqui, Grands manuels, Picard 2000.