Tour St-Jacques… dernier vestige
Édifiée dans l’un des plus anciens quartiers de Paris, la tour Saint-Jacques, dans son isolement, évoque le mystère et résonne d’expériences alchimiques, scientifiques et industrielles. À la croisée du Paris médiéval et du dessein haussmannien, la tour Saint-Jacques, maintes fois restaurée, vit un destin romanesque.
Retracer son histoire nous fait remonter au XIIème siècle. La proximité de la Seine en fait l’emplacement choisi par les écorcheurs et les bouchers qui abattent les bêtes et débitent la viande pour les parisiens. Ils forment une puissante corporation connue sous le nom de Grande Boucherie. Si il est difficile de dater avec certitude l’érection d’une église — les fouilles pratiquées au milieu du XIXème concluent à trois niveaux de construction à cet emplacement — il semble avéré que ce lieu de culte abritait une relique de Saint-Jacques qui lui valut d’être érigé en paroisse sous le nom de Saint-Jacques-la-Boucherie (pour la distinguer de Saint-Jacques-du-Haut-Pas) au milieu du XIIIème siècle et en faire un point de départ du pèlerinage vers Compostelle.
La paroisse des bouchers
Prise dans un étroit réseau de ruelles et de constructions, l’église se développe par ajouts successifs, au gré des opportunités financières. Nicolas Flamel (1340-1418), écrivain public et libraire-juré a financé une partie des agrandissements et embellissements de cette église en puisant dans sa fortune due, selon les sources, à d’habiles spéculations immobilières …ou à des talents d’alchimiste transmuant les métaux en or. En 1389, il finançe le portail nord et, en tant que donateur et bienfaiteur, se fait représenter sur le tympan, en compagnie de dame Pernelle (1320-1397) son épouse, aux côtés de la Vierge et des saints Jacques et Jean-Baptiste. Il prépare lui-même sa pierre tombale et est enterré dans l’église en 1418 après avoir fait don de la quasi-totalité de ses biens à la paroisse.
Vers la fin du XVème siècle, les voies sont élargies et de nombreux travaux entrepris. Les échoppes d’écrivains publics — dont celle où officie Nicolas Flamel — adossées aux murs de l’église, sont détruites ; la façade d’origine de l’église remplacée en 1487 et ses ornements achevés en 1491. Saint-Jacques possède un clocher carré datant du XIIIème siècle, il est décidé de le remplacer par ce qui deviendra la seule trace de cette église.
Bien qu’érigée entre 1509 et 1523 au début de la Renaissance sous Louis XII et François Ier c’est, dans un enchevêtrement de gargouilles et d’entrelacs, une architecture gothique flamboyant. Des statues de saints agrémentent les flancs de l’édifice. La terrasse qui culmine à 54 mètres, en guise de couronnement, reçoit cinq statues réalisées par Rault — tailleur d’images — quatre évangélistes et dominant l’ensemble : Saint-Jacques-le-Majeur. Mises à part les tours de Notre-Dame, aucun édifice n’est alors plus haut dans Paris.
Rescapée de la Révolution
L’église Saint-Jacques-la-Boucherie ne survit pas à la Révolution. Fermée en 1790 elle abrite en 1793 les séances du comité révolutionnaire et ses statues sont jetées à terre. Elle est vendue comme bien national en 1797 et sert de carrière de pierre. La tour ne doit son salut — dit-on — qu’en souvenirs des expériences qu’y a conduites Blaise Pascal sur la pression atmosphérique. Une autre version veut qu’un architecte de la ville ayant apprécié la valeur historique et architecturale, eût l’heureuse idée d’insérer dans l’acte de vente une clause précisant que la tour ne serait comprise dans le prix de quatre-cent onze-mille-deux-cents francs qu’à la condition d’être respectée. Cette clause et sans doute le fait qu’elle pouvait servir de guet à incendie, la sauva.
En 1824, un industriel prend possession du clocher et y installe une fonderie de plomb de chasse. Le principe est simple : faire tomber du plomb en fusion depuis le sommet à travers des grilles formatées pour que les gouttes s’arrondissent dans leurs chutes et se transforment en billes une fois plongées dans l’eau glacée, 54 m plus bas. L’activité porte évidemment atteinte à l’intégrité de la tour, les parois se couvrent de fumée ; les voûtes, à l’exception de celle coiffant le rez-de-chaussée, et les planchers intermédiaires sont supprimés. Après deux incendies, la Ville de Paris sur proposition de François Arago, en 1836, rachète deux cent cinquante mille cent Francs l’ancien clocher de l’église Saint-Jacques-la-Boucherie, qui demeure sans véritable destination.
Deux images d’Édouard Baldus et Henri Le Secq prises avant les travaux de restauration de Théodore Ballu en 1853 donnent une idée de l’ampleur des travaux entrepris. Le socle de la tour est hautement surélevé de la rue. La base de la tour porte les traces de l’ancienne église, des vantaux font office de rabat-son, aucune statue hormis deux évangélistes sont visibles en haut de la tour et une guérite, semble-t-il héritée de la manufacture de plomb, trône en haut de la terrasse. Les travaux de restauration pour l’essentiel commencent par débarrasser la tour de toutes les masures qui l’entouraient, niveler le sol pour le ramener au niveau de la rue de Rivoli… et reprendre en sous-œuvre les fondations en créant cette assise octogonale accessible par une volée de 14 marches pour accéder à la statue de Blaise Pascal au milieu de quatre portes ogivales ouvertes. Les rabat-son supprimés sont remplacés par des vitraux dans lesquels les monogrammes TB et NF rappellent les liens avec l’architecte-restaurateur et le tabellion-alchimiste. Les parements concernent pour l’essentiel un prolongement de ceux visibles sur l’image de Baldus entre les rabat-son et le sommet avec fleurons, pinâcles et la réintroduction de la statuaire religieuse. Après cette restauration, la Tour Saint-Jacques culmine maintenant à 58 mètres au-dessus du sol, une station météo a remplacé la guérite du plombier et un paratonnerre attire les foudres de l’au-delà…
Sources documentaires : La tour de Saint-Jacques-la-Boucherie ou mémoire historique, archéologique et critique ; N-M Troche, Julien, Lasnier, Cosnard et Cie, éditeurs, 1857. Wikipédia.
2 mars 2020